Ma chère maman, les années ont passé sans que je les voie, tellement la vie va vite. Aujourd’hui, j’ai 55 ans et il me semble qu’il n’y a pas si longtemps, nous habitions ensemble à Montréal.
Je me souviendrai toujours du jour où à l’âge de 8 ans, je suis revenue à la maison sur la rue Ottawa à Montréal, après avoir passé plusieurs années en foyer d’accueil. Papa et toi, chacun à votre tour, m’avez abandonné. J’avais 3 ans.
Sans que ma mémoire se souvienne de cette journée, mon subconscient, mon corps et chacune de mes petites cellules s’en souviennent. Ma vie venait de basculer. Elle venait de prendre une route très différente. Une route où j’ai dû apprendre à me battre pour avoir ma place dans ces foyers d’accueil. Une route où j’ai dû me protéger sous une carapace. Une carapace si épaisse, qu’il m’a fallu plus de 40 ans pour arriver à trouver une fissure qui me permette de commencer à voir qu’il y avait une personne avec un cœur sous cette carapace.
Aujourd’hui, je n’ai plus ce mécanisme de défense, cependant, je ne peux que le remercier de m’avoir protégée.
J’ai tellement souffert de cet abandon, de ce sentiment de rejet , de ce sentiment d’injustice dans ces foyers d’accueil. Je t’en ai tellement voulu maman de m’avoir abandonné, de ne pas m’avoir aimé assez pour me garder avec toi!
Plusieurs dizaines d’années sont passées depuis mon retour chez toi. J’ai tellement espéré pendant toutes ces années que tu me vois, que tu m’écoutes, que tu m’aimes, que tu me prennes dans tes bras quand j’avais de la peine et que tu m’accompagnes dans ma vie. J’ai tellement attendu ce moment!
Depuis quelques années, j’ai cessé d’attendre. J’ai appris à vivre en étant dans mon cœur. J’ai appris à me libérer de mes souffrances du passé et je vois les choses vraiment différemment maintenant.
Voici ce que je vois maintenant.
Je vois que tu as fait ton possible avec moi maman. Je vois aussi que tu ne pouvais pas me donner cet amour tant attendu, puisque tu ne pouvais pas me donner ce que tu n’avais pas. Je vois aussi que ce sont tes souffrances qui ont fait de toi cette mère que tu es et que mes perceptions de toi m’ont fait croire que tu n’étais pas là pour moi.
Aujourd’hui, je suis détachée de toi. Mais tu sais maman, être détaché ne veut pas dire, ne plus t’aimer. Ça signifie, ne plus laisser mon passé, mon enfance et mes souffrances reliés au sentiment d’abandon, se mettre entre nous. Et aussi ne plus prendre tes souffrances à toi sur mes épaules. De cette façon, quand je te vois, je vois uniquement la mère et la femme en toi et jamais, la mère qui m’a abandonnée.
Depuis quelques années, je te regarde dépérir. Je te regarde exister et non vivre ta vie. Je te regarde te détruire la santé avec l’alcool. Je te regarde t’ennuyer à mourir et attendre que la vie passe et qu’enfin la fin arrive.
Combien de fois on m’a parlé de toi et de l’alcool?
Combien de fois on t’a jugé, en disant: « Je ne comprends pas pourquoi elle boit, elle a pourtant tout ce qu’il lui faut. Pourquoi a-t-elle besoin de boire comme ça? »
Je sais pourquoi tu as besoin de cet alcool maman.
Elle te permet de fuir cette vie, de fuir l’ennui quotidien et surtout, elle te permet de fuir tes souffrances à l’intérieur, ton mal à l’âme. Le décès de ton fils, l’année dernière, n’a rien aidé à ta souffrance.
Sache maman que malgré que nous nous voyons que rarement, tu as une place particulière dans mon cœur. Depuis un bon moment déjà, plus aucune émotion négative ne reste en moi, face à toi ou à mon passé. Je suis en paix à l’intérieur.
Je te remercie infiniment de m’avoir donné la vie. Je te souhaite de tout mon cœur de toucher un jour à cette paix, que ça soit ici sur cette terre ou ailleurs.
Bonne fête des Mères maman.
Je t’aime.
Ta fille Madeleine
je t’aime maman